Marqueurs biométriques au travail : outil de sécurité ou menace pour les droits des employés ?

On voit, ces dernières années, de plus en plus de personnes qui possèdent des montres connectées ( fitbit, garmin, apple watch, samsung watch,…). Ces personnes s’en servent pour différentes raisons : se détacher des écrans de téléphone, avoir un kit main libre dans la voiture la montre connectée permettant de facilement répondre au téléphone, connaitre les nombre de pas réalisés dans la journée ou encore chronométrer leur jogging. Aujourd’hui, les montres ne sont plus les seuls objets connectés : bague, capteurs, … Plus récemment, on a également vu apparaitre les lunettes connectées. Et si ces objets connectés devenaient aussi des outils de sécurité et bien-être au travail ?

Quelles sont les opportunités ?

Une meilleure prévention des risques

Les dispositifs connectés offrent un suivi en temps réel des conditions de travail. Ils peuvent :

• détecter des signaux de fatigue ou de stress,
• prévenir les accidents graves
• protéger contre des dangers mortels

Par exemple, dans le secteur du transport, les capteurs embarqués détectent si un chauffeur est distrait ou somnolent, réduisant ainsi les risques d’accident. 
Au Canada, en 2021, Jérôme Parent qui était alors étudiant, a réalisé pendant ses études un projet de détection de la fatigue au volant à l’aide de l’intelligence artificielle. Il a, en effet, conçu un système permettant la détection automatique du niveau de fatigue à partir de l’analyse faciale du conducteur pour en détecter de façon automatique les signes de fatigue, comme les bâillements et les picotements au niveau des yeux, et d’en estimer le niveau. Le système permettra ainsi de prévenir et de signaler au conducteur la nécessité d’un arrêt pour prévenir un éventuel accident. (Bouchard, 2022)

Une amélioration du bien-être au travail

En analysant les données physiologiques, certains outils aident à identifier les situations de burn-out ou d’épuisement professionnel (Dai & Zhu, 2021). Ils peuvent aussi accompagner les salariés dans la gestion de leur stress ou encourager de meilleures habitudes de santé (activité physique, qualité du sommeil, nutrition).

Par exemple, en 2019, Microsoft a déposé un brevet "Emotion Detection From Contextual Signals For Surfacing Wellness Insights". Il s'agit de détecter le niveau de stress d'un travailleur lorsqu'il effectue des tâches telles que l'envoi d'e-mails. Suite à quoi un "score d'anxiété" est établi et suggère au travailleur de faire une pause si nécessaire.

Plus de productivité et de collaboration

Des entreprises comme Humanyze ou Enaible.io utilisent l’IA pour analyser les interactions sociales et la performance des équipes. L’idée ? Optimiser la collaboration et valider rapidement l’impact des stratégies managériales.

Quelles sont les menaces ?

Une surveillance de plus en plus intrusive

Alors que les pointeuses et cartes perforées suivaient uniquement le temps de travail, les outils modernes vont beaucoup plus loin. Ils peuvent prédire une démission, analyser l’état émotionnel d’un employé ou encore surveiller son comportement en dehors des heures de travail (De Vaujany et al., 2021).
En Février 2021, chez Amazon, les chauffeurs avaient dû signer un consentement biométrique autorisant la collecte de données sur leurs mouvements, leur localisation et leurs expressions faciales. Ce nouveau process a engendré une vague de démission car les travailleurs y voyaient une violation de leur vie privée.

Le risque de technostress

La surveillance numérique peut générer du technostress (Ragu-Nathan et al., 2008), surtout chez les salariés peu formés ou dont la rémunération dépend d’indicateurs automatisés. Résultat : plus de pression, perte de confiance, sentiment de contrôle permanent.

Un flou juridique et éthique

Le RGPD permet aux employeurs de traiter certaines données sensibles si cela est justifié par des impératifs de sécurité ou de santé. Mais la frontière reste floue entre ce qui relève de la prévention des risques professionnels et ce qui constitue une atteinte à la vie privée.

Quels défis pour les entreprises ? 

Pour que les lieux de travail connectés soient une opportunité et non une menace, les organisations doivent relever plusieurs défis :

1. Protéger les données sensibles : renforcer les protocoles de cybersécurité et limiter les accès.
2. Définir des règles claires : quelles données sont collectées, à quelles fins et pendant combien de temps.
3. Assurer la transparence auprès des salariés : expliquer les bénéfices et limites des dispositifs.
4. Éviter les dérives punitives : utiliser les données pour prévenir et accompagner, et non pour sanctionner.

Vers quel futur pour les marqueurs biométriques ?

Les lieux de travail connectées représentent une évolution majeure de la sécurité au travail. Elles offrent un potentiel indéniable pour réduire les accidents, améliorer la santé et renforcer la prévention des risques. Mais elles risquent aussi de transformer l’entreprise en un espace de surveillance permanente.

L’avenir dépendra de l’équilibre que les employeurs réussiront à trouver entre innovation technologique et respect de la dignité des travailleurs.

Les entreprises les plus performantes seront celles qui parviendront à associer prévention, transparence et gouvernance éthique.
Plus d'informations sur le FestIA - Prévention 2.0
Sources :

• Mettler, T. (2023). The connected workplace: Characteristics and social consequences of work surveillance in the age of datification, sensorization, and artificial intelligence. Journal of Information Technology, 39(3), 547-567. https://doi.org/10.1177/02683962231202535 (Original work published 2024)

- Bouchard, J. (2022, 14 septembre). Détecter la fatigue au volant avec l’intelligence artificielle ; Université du Québec à Rimouski. https://www.uqar.ca/4129-detecter-la-fatigue-au-volant-avec-l-intelligence-artificielle/

- Finnegan, M. (NA), Microsoft élabore un score d'anxiété des employés via la biométrie. https://www.lemondeinformatique.fr/actualites/lire-les-mauvaises-methodes-de-management-pour-la-dsi-97689.html

• https://www.vice.com/en/article/amazon-delivery-drivers-forced-to-sign-biometric-consent-form-or-lose-job/